Le premier ministre, Gabriel Attal, explique que Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (qui est donc dépositaire de l’autorité de l’État dans l’archipel), a « interdit TikTok ». Le réseau social est ciblé, car il est très utilisé par les émeutiers, explique l’AFP.
Ces dernières évoquent «
des pays comme la Chine [ByteDance, le propriétaire de TikTok est chinois, ndlr]
ou l’Azerbaïdjan ». Viginum (le service de détection des ingérences numériques étrangères) était déjà monté au créneau pour dénoncer une
campagne de déstabilisation des JO de Paris liée à l’Azerbaïdjan
Sur le blocage de Twitter, Emmanuel Poinas, vice-président du tribunal de Nouméa,
expliquait ce matin à BFM que le réseau social offre «
des possibilités de diffuser de l’information qui n’est pas forcément fiable. En l’état, la diffusion d’informations non fiables ne peut que développer des risques de trouble et d’émeutes ». TikTok n’est pas le seul dans ce cas, mais sa forte notoriété auprès des jeunes pourrait en faire une cible de choix.
Pour rappel, la question du blocage des réseaux sociaux avait déjà été
soulevée par Emmanuel Macron pendant les émeutes en métropole après la mort de Nahel.
Une mesure proportionnée ?
Nicolas Hervieu (spécialiste du droit public et européen),
explique que «
cette mesure (sans précédent…) est liée au régime de l'état d'urgence ». Il ajoute néanmoins que «
la légalité de cette décision du ministère de l’Intérieur annoncée par Gabriel Attal est discutable. Car le lien avec le terrorisme est plus que douteux… ».
En effet, le décret du 15 mai s’appuie sur la
loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, qui stipule : «
Le ministre de l'Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie ».
De son côté, Maitre « Eolas » (un pseudo, mais un vrai avocat)
explique que «
c’est une interdiction provisoire, dans le cadre de l’état d’urgence. S’il s’avérait que les émeutiers utilisent TikTok pour provoquer à la rébellion armée et se coordonner, c’est une mesure qui peut être proportionnée à la nécessité de rétablir l’ordre et la sécurité publique ».
Cela laisse donc une ouverture aux citoyens de Nouvelle-Calédonie pour contester cette décision, en se basant
« sur l’illégalité manifeste de cette décision compte tenu du fait que le blocage n’est possible qu’en cas de provocation ou apologie du terrorisme au sens stricte », explique Nicolas Hervieu au
Figaro.
Le droit de l’Union européenne reste à distance
Alexandre Archambault, également avocat et spécialiste du numérique,
ajoute que cette interdiction est «
envisageable (en théorie) sur toute portion du territoire non soumise au droit de l'Union », mais qu’elle est «
inopérante sur toute autre partie soumise au droit de l'Union ».
Il explique en effet que les services de la Commission européenne estiment «
que des troubles à l'ordre public dans un seul État ne peuvent fonder blocage VLOP ». Ce terme désigne les Très grandes plateformes en ligne, dont fait partie TikTok, qui sont soumises au DSA.
La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises, Wallis-et-Futuna et Saint-Barthélemy sont en effet des pays et des territoires d’outre-mer (PTOM). Ils «
ne sont pas intégrés à l’Union européenne, mais ils bénéficient d’un régime d’association »,
explique Vie-publique.fr. Une différence qui a donc toute son importance.
De leur côté, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, la Guadeloupe, et la Guyane sont des régions ultrapériphériques (RUP). Elles «
font partie intégrante de l’UE et sont assujetties au droit communautaire, au même titre que les autres régions européennes »,
explique la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. La situation serait donc différente si les émeutes se déroulaient à la Réunion ou en métropole, par exemple, et que le gouvernement souhaitait bloquer TikTok.
Un blocage « opérationnel » sur les mobiles
Toujours est-il que «
c’est en vigueur et ça fonctionne opérationnellement (uniquement sur les téléphones). C’est l’office des postes et des télécommunications de Nouvelle-Calédonie qui intervient depuis hier pour bloquer les accès à l’application TikTok »,
confirme le cabinet du premier ministre à BFM. La méthode utilisée (blocage DNS, par IP, autres…) n’est pas précisée.
Le blocage est d’autant plus simple à mettre en place, qu’en Nouvelle-Calédonie il y a un «
unique régulateur et opérateur local, l'Office des Postes et Télécommunications de Nouvelle-Calédonie, l'OPT-NC », ajoute Alexandre Archambault à nos confrères. En métropole, la multiplication des opérateurs (fixes et mobiles) et la réglementation européenne auraient compliqué les choses.
Reste maintenant la question de l’efficacité de cette mesure. Le blocage mis en place peut-il facilement être contourné ? Les émeutiers vont-ils rapidement changer de réseaux sociaux ? Combien de temps cette mesure va-t-elle rester en place ? Aucune réponse à ces questions n'a été formulée pour le moment.
Concernant la Nouvelle-Calédonie, Gabriel Attal va présider une nouvelle cellule de crise ce matin à 8h30. Emmanuel Macron a de son côté proposé aux élus calédoniens un «
échange par visioconférence », après une réunion de crise prévue à 11h. Rappelons enfin que le décalage horaire est important avec Paris, puisqu’il y a neuf heures de plus à Nouméa.