Quantcast
Channel: Next - Flux Complet
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1069

Législatives : ce que les échanges sur X disent des potentielles ingérences étrangères

$
0
0
Russe de Sioux
De l'huile russe sur le feu RN selon Flock

Plusieurs études récentes viennent détailler des activités inauthentiques dans les débats politiques tenus sur le X français, sans que leur impact précis soit évident à qualifier.

Si de nombreux anciens utilisateurs de X ont quitté le réseau depuis son rachat, politiques et médias y restent relativement nombreux et actifs, a fortiori en période électorale. Mais à quoi ressemble l’activité qui s’y déroule ? Dans quelle mesure est-elle légitime ? Que traduit-elle des potentielles ingérences dans le débat (politique) français ?

Ces questions, le mathématicien et directeur de recherche à l’Institut des systèmes complexes du CNRS David Chavalarias et l’analyste Florent Lefebvre (@Flefgraph) se les sont posées et y ont apporté des réponses complémentaires.

Le premier a publié ce 30 juin une étude (pre-print) détaillant comment, depuis 2016, des efforts de basse intensité d’origine russe se sont déployés, notamment sur Twitter/X pour « affaiblir puis inverser » le front républicain français « à l’approche des législatives de 2024 ». Ce faisant, ils favorisaient la promotion d’intérêts pro-Kremlin, plutôt présents à l’extrême-droite de l’échiquier politique français.

Sur un temps plus court, le second a observé comment, dans les quelques semaines en amont du premier tour, une communauté toute neuve s’est intégrée aux discours relatifs aux législatives pour orienter certaines communautés vers des publications « anti-gouvernement ».

Le Politoscope : radioscopie du débat politique sur une quasi-décennie

Entre 2016 et 2023, le projet Politoscope a consisté à récolter une grande partie des messages échangés sur Twitter pour créer des « cartes sociales » du paysage politique tel qu’il y est représenté. Celui-ci est spécifique au réseau social, qui comptait 10 millions d’utilisateurs actifs en France en 2022, année de son rachat par Elon Musk.

Au total, l’équipe du mathématicien a « analysé plus de 700 millions de messages émis par près de 17 millions d’utilisateurs uniques » sur la période. En sept ans, ces observations ont permis de relever l’apparition de trois communautés : celle d’En Marche, celle de Reconquête !, et une troisième, au sujet de laquelle David Chavalarias alertait déjà dans son ouvrage Toxic Data, qualifiée d’ « anti-système ». Cette dernière « a émergé pendant la pandémie de Covid-19 sous l’influence de leaders politiques français, pro-Poutine de manière assumée », complotistes, souverainistes ou idéologiquement à l’extrême-droite.

À terme, le suivi réalisé par l’équipe de l’Institut des Systèmes Complexes du CNRS lui a donc permis d’illustrer la transformation de la discussion d’un paysage politique bipolaire (de la gauche vers la droite) à un autre, tripolaire. Dans celui-ci, la communauté « antisystème » sert de lien entre La France Insoumise d’un côté et l’extrême-droite de l’autre. Un mouvement qui s’est déroulé en parallèle d’une « toxification à grande échelle des interactions sociales » sur la plateforme.

La communauté anti-système, artisan de la polarisation française

« Sous couvert de défense de la « liberté » contre les mesures anti-covid », les influenceurs « anti-systèmes » « ont progressivement bâti l’une des plus importantes communautés du Twitter politique français », écrit David Chavalarias. Surtout, en capitalisant sur l’opposition aux mesures gouvernementales prises pendant la pandémie, ils ont réussi à se placer en intermédiaire entre deux courants « fondamentalement antinomiques » sur le plan des idées : une partie de la gauche et l’extrême-droite.

Se placer ainsi est aussi idéal pour agir sur « l’ensemble du paysage politique français, du moins sur Twitter », explique le mathématicien. À l’appui de sa démonstration : les Kremlin Papers, obtenus par The Guardian, dans lesquels la feuille de route de Vladimir Poutine pour influencer la vie politique aux États-Unis, et dans tout autre État d’intérêt, était décrite très précisément. Celle-ci insistait sur la nécessité de « moduler le débat politico-social » des États-Unis de sorte à « délégitimer, dans la conscience collective », le système gouvernemental comme le président élu.

Pour David Chavalarias, le bloc anti-système est parfaitement situé au sein des échanges pour opérer le même type de modulation sur le X français, puisqu’il permet de faire circuler largement, et sur le long terme, des idées et débats de nature à fracturer l’opinion.

Pour identifier ces idées susceptibles de diviser, le mathématicien s’appuie sur les travaux d’Umberto Eco sur la menace fasciste. En 1995, l’universitaire italien écrivait dans la New York Review of Books : « à la racine de la psychologie fasciste, il y a l’obsession d’un complot, peut-être international. (…) Le moyen le plus simple de déjouer le complot est de faire appel à la xénophobie. Mais le complot doit aussi venir de l’intérieur ».

Islamo-gauchisme et conflit israélo-palestiniens, deux vecteurs d’un déchirement français

Les observations du mathématicien montrent que les débats sur l’islamo-gauchisme ont pu jouer ce rôle de création d’un « ennemi » intérieur sur le temps long.

Entre 2016 et 2021, le concept a peiné à émerger : ses rares promoteurs l’ont poussé sur un mode qui « ressemblait en tous points à de l’astroturfing ». Parmi les comptes les plus actifs de l’époque, David Chavalarias relève ainsi la présence de @Yxxxx, qui a tweeté plus de 400 fois sur l’islamo-gauchisme, et présente désormais un profil en cyrillique. « Une recherche rapide permet de voir qu’il s’agit d’un Russe de 38 ans résidant à Novosibirsk, probablement employé à l’époque dans une ferme à trolls. »

Jusqu’en 2021, la thèse de l’ « islamo-gauchisme » n’est principalement véhiculée que par ce type de trolls russes. Jusqu’à trouver un relais idéal en la ministre de l’Enseignement supérieur, qui déclare en février sur CNews demander au CNRS une étude sur le sujet. L’idée pénètre alors réellement le débat public, et peut se mettre à fonctionner comme un « virus informationnel » indépendant, pour reprendre l’expression de l’historien David Colon, auteur de La guerre de l’information. Cela aurait aussi permis d’implanter dans de nombreux esprits un raccourci de type « La France Insoumise (et ses alliés) = islamo-gauchisme = ennemi intérieur ».

© Politoscope

D’après David Chavalarias, le placement de la sphère anti-système entre la gauche et l’extrême-droite lui a aussi permis de tirer parti de l’actualité récente pour renverser le front républicain qui s’oppose traditionnellement au Rassemblement National. Profitant du conflit qui oppose Israël au Hamas depuis l’attentat commis par ce dernier le 7 octobre 2023, certains comptes inauthentiques ont œuvré pour isoler plus avant la gauche insoumise du reste de l’échiquier politique présent sur X.

Un compte particulier, @FRN, permet d’illustrer cette logique. Historiquement présent dans la sphère « anti-système », celui-ci s’est déplacé au cours de l’année passée vers les groupes d’interactions marqués à gauche. Il s’est ensuite mis à diffuser « exclusivement » des images et vidéos « des massacres perpétués par le gouvernement de Netanyahou à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle ».

Pour David Chavalarias, ces publications « sont innombrables et insoutenables, au point que le visionnage de quelques-unes provoque presque inévitablement des syndromes de stress post-traumatique (PTSD) ». Et de participer à pousser ceux qui y ont été exposés à « mettre sur la table le sort des Palestiniens à chaque prise de parole ». Pour les internautes qui n’y auraient pas été exposés au même degré, en revanche, de si nombreuses prises de parole sur ce sujet spécifique seraient « irrationnelles ».

Diverses opérations anxiogènes – comme les tags d’étoiles de David sur murs de Paris et ceux de « mains rouges » sur le Mémorial de la Shoah, dont il a été démontré qu’elles avaient été orchestrées par des réseaux russes – sont encore venus ajouter de l’huile sur le feu. Avec pour résultat, analyse David Chavalarias, d’enfermer une partie de la population dans de faux dilemmes : choisir entre soutenir les palestiniens OU la population juive, regretter l’islamophobie OU l’antisémitisme… Au risque de se placer politiquement en fonction de ce seul axe, quand bien même il devrait rester possible de lutter contre toutes les haines.

En juin, vague de créations de comptes « anti-gouvernement »

Sur une temporalité beaucoup plus réduite (du 6 au 26 juin), Florent Lefebvre s’est penché sur l’activité directement liée aux législatives sur X. Grâce à un corpus de 1,3 million de tweets ayant totalisé 17,4 milliards d’impressions, l’analyste a pu dresser plusieurs constats. D’abord, le « camp » RN et Reconquête disposent de beaucoup plus de spammeurs, c’est-à-dire de comptes pratiquant le tweet et le retweet intempestifs, que les autres forces politiques.

Ensuite, il relève la création d’une dizaine de milliers de comptes au comportement anormal, dans le mois qui a précédé les élections, et qui a énormément tweeté et retweeté des publications directement liées aux législatives. Si Florent Lefebvre ne formule aucune hypothèse sur son origine, il souligne que ce bloc de comptes anormaux n’a interagi qu’avec les communautés liées au Nouveau Front populaire et à Renaissance, évitant toute la communauté d’extrême-droite.

© Florent Lefebvre

Quels effets concrets ?

Si des agents extérieurs ont pu amplifier certains discours et déformer l’information telle qu’elle aurait du « naturellement  » circuler sur X, il reste difficile d’attribuer un résultat politique à l’échelle nationale à ce seul levier d’action – d’autant plus que la plateforme détenue par Elon Musk est loin d’être la seule en jeu. Comme David Chavalarias l’indique lui-même, le climat politique actuel en France est dû à une variété de facteurs que la seule ingérence d’une nation dans nos débats numériques ne saurait expliquer.

Il est possible, en revanche, de réunir des faisceaux d’indices. Avant même le premier tour des élections législatives, une enquête de Mediapart soulignait les liens directs entretenus par une quinzaine de candidats RN avec la Russie de Poutine. À l’heure de l’entre-deux-tour, une dizaine sont déjà élus ou qualifiés au second tour, relève La Lettre.

En ligne, des opérations d’influence ont par ailleurs été documentées sur diverses plateformes. Fin juin, l’entreprise Recorded Future montrait l’activité de réseaux russes et iraniens dans les discussions relatives aux élections législatives, tout en déclarant leur impact « négligeable ».

En avril, AI Forensics pointait de son côté la faiblesse de la modération réalisée par Meta sur ses systèmes publicitaires. Alors qu’il continuait de travailler sur le sujet, le chercheur Paul Bouchaud (par ailleurs affilié à l’Institut des systèmes complexes) a mis la main sur la capture d’écran de l’espace de travail d’un troll, ce qui a permis d’observer l’organisation des équipes œuvrant à désinformer dans différents pays, dont la France.

Quoiqu’il en soit, le politologue spécialiste de la Russie et de ses pratiques d’influence Maxime Audinet invite à la prudence sur la manière de qualifier l’origine de ces opérations. Les décrire comme des faits directement organisés depuis le Kremlin est le plus souvent une simplification, note-t-il, dont les « entrepreneurs d’influence » russes tirent directement profit.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1069

Trending Articles